mardi 13 août 2013

Le droit au bonheur

Jeudi 1 août 2013
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La douleur est intense dans mon dos. Il a lâché des deux côtés des lombaires, en sortant de la douche, tout simplement, sans crier gare. La dernière fois que ça m’est arrivé, c’était en éternuant.  
Je me suis retenue de justesse au comptoir de la salle de bain pour ne pas tomber, acroupie par la douleur. Ma serviette de bain est tombée par terre. Je devais me remettre debout le plus vite possible.
J’étais nue, seule, accotée au comptoir, tentant de tenir debout. Les étoiles ont commencé à passer devant mes yeux. Je transpirais de douleur. De peine et de misère, j’ai réussi à prendre un verre, à le remplir d’eau et à le boire. Les étoiles se sont estompées et j’ai retrouvé un peu de force.
La douleur était intense. La porte de la salle de bain était fermée à clé. Personne sur l’étage. J’ai réussi à m’asseoir sur la toilette puis, de longues minutes plus tard, à ramasser ma serviette de bain. Remise debout, tordue sur mes jambes et le dos raide, je l’ai attachée autour de mon torse. J’ai pris mes effets et suis sortie. La largeur du couloir m’a permise de m’y tenir pour retourner à ma chambre, pas à pas, minute après minute.
J’ai heurté à la porte de la thérapeute du groupe auquel je participais cette fin de semaine-là. Elle a ouvert et mes larmes se sont mises à couler. Je me suis assise sur le lit et elle a mis ses mains dans mon dos longuement. Plus tard, elle m’a dit que, en m’ouvrant la porte, elle avait eu devant elle une petite fille de 8 ans… C’est l’âge où j’ai vécu de gros traumatismes familiaux.
Dans les pleurs, une seule chose montait : «Je n’en peux plus de tout porter, de tout supporter». Elle comprenait très bien, me voyant aller depuis plusieurs années.
J’ai finalement réussi à m’habiller et à descendre au réfectoire pour manger. J’avais besoin de forces. Si je n’y allais pas, il serait fermé plus tard.
En y arrivant, tous les regards se sont tournés vers moi. Je clopinais péniblement en m’accrochant partout où je pouvais jusqu’à m’asseoir à une table. Plusieurs personnes sont venues instantanément m’offrir leur aide, notamment pour me préparer le déjeuner. La table s’est vite remplie de personnes qui sont venues me tenir compagnie. Toutes les personnes qui me connaissaient disaient la même chose : «Il faut que tu arrêtes de tout porter, ton dos te parle !».
La question qui revenait en moi était «Pourquoi je porte et supporte autant les gens ?». Que ce soit mon co-loc, mes amis ou les milliers de personnes dans Facebook et mes blogs, je porte à bout de bras bien du monde, de façon maternelle souvent, naturellement.

L’«achat» inconscient de croyances
Une amie thérapeute spécialisée en traitements post-traumatiques, Claire, me propose une séance pour voir ce que ce mal de dos veut me dire :
- Que se passe-t-il dans ton corps ? me demande Claire.
- Je sens un micro-tremblement dans tout le corps… C’est de la peur.
Les larmes coulent malgré moi. Je me revois petite, dans ma chambre, tremblante en entendant maman et son mari s’engueuler de l’autre côté de ma porte fermée. J’avais peur que le mari fasse mal à maman. J’avais peur de devoir aller les séparer pour protégrer maman. J’avais peur qu’il me fasse du mal. J’étais tétanisée sur ma chaise.
J’y allais pourtant, à chaque fois. Prenant mon courage à deux mains et enfouissant mes peurs au plus profond de moi, j’allais faire en sorte que le calme revienne dans la maison, qu’il arrête de taper sur maman, de la traiter comme une moins que rien.
Une fois la crise passée, je retournais dans ma chambre, comme si de rien n’était. Personne ne venait voir si j’allais bien. Je me réfugiais dans mes livres, dans mon tricot ou dans ma peine, seule, sans support, sans consolation, jamais.
J’ai cru alors que mon rôle était d’être la mère de ma mère, de la protéger et d’en prendre soin, ce que j’ai fait très longtemps. En agissant ainsi, je trouvais une raison de vivre, aussi, d’avoir une place dans la maison, sans pour autant sentir que je faisais partie d’une famille. Plus tard, j’ai agi de façon maternelle avec bien d’autres personnes, notamment mes conjoints. Je n’ai décroché de ce pattern qu’il n’y a quelques mois.

Le droit au bonheur et à la réussite
La séance continue avec Claire. Une autre image / prise de conscience apparaît : chaque fois que les choses semblaient aller mieux à la maison - de toute petite à ce que je quitte la maison -, qu’une lueur d’accalmie et de bonheur semblaient vouloir non seulement poindre mais aussi grandir, à chaque fois, quelque chose arrivait qui anéantissait ce timide bonheur que maman et moi avions enfin touché. Retour à la case départ. L’espoir détruit. Le retour à la survie et à la solitude. Chaque fois.
Je comprends enfin pourquoi je reproduis ce pattern dans ma vie depuis toute jeune, pourquoi chaque projet ou situation de vie qui semble vouloir mener vers une réussite et un bonheur tombent invariablement à l’eau sans que je ne puisse rien faire et malgré tous mes efforts.
Paradoxalement : dès que je mets de l’énergie dans le projet, dès que je veux le développer plus que juste le laisser aller tel quel, il s’écrase. Si je ne pousse pas, il fonctionne, de façon stagnante mais il tient. L’état de survie dans le «juste assez» est permis. Plus que ça, tout tombe.
Je réalise que j’ai acheté très jeune la croyance de ma mère que nous n’avions pas droit au bonheur et à la réussite, que nous avions seulement droit au «juste assez», comme des pauvrettes. Je vois encore cette image de ma mère me faisant comprendre que nous n’étions bonnes qu’à recevoir «petit».
C’est le sujet sur lequel je travaille depuis plusieurs mois, ayant mis en stand-by plusieurs belles idées de projets que j’ai envie de réaliser. Je voulais comprendre et décrocher le pattern avant de me relancer dans quoi que ce soit. A quoi sert de démarrer des projets, de vouloir réaliser des rêves éventuellement, si de toute façon ils étaient voués à l'échec ?
Après tant d’années de travail sur moi et dans ma vie professionnelle, ne pas «réussir» (au sens large) n’était pas normal. J’ai trouvé deux grosses clés avec Claire. La suivante va être de regarder en avant maintenant et ne plus laisser le passé faire obstruction à l’avenir...

Apprendre à demander et à recevoir
Depuis que mon dos a décidé de crier, dimanche passé, plusieurs personnes ont été présentes autour de moi, ont pris soin de moi, et m’ont dit des choses qui m’ont fait monter les larmes aux yeux, touchée par leur compassion, leur accueil et leur tendresse.
Je n’ai pas l’habitude de demander ni de recevoir mais avec mon dos, je n’ai pas le choix. Je me permets donc de demander des coups de mains. J’accueille avec gêne parfois, mais surtout une infinie gratitude, tous les cadeaux, pensées et l’aide de chacun(e).
Tout à l’heure, je vais chez mon ostéo pour qu’il me remette le dos en place. Une nouvelle vie commence, comme chaque matin !
Avec Amour
Dominique

© Dominique Jeanneret - Vous pouvez reproduire ce texte dans votre site ou blog non-commercial à condition de ne rien y changer, de laisser ces dernières lignes et le lien vers ce blog www.chemindevie.net, par respect pour l’auteure, que vous le preniez en entier ou juste un bout. Merci !

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